Afin de développer la sensibilité à la gestion des risques et à une identification pédagogique et déculpabilisante des erreurs, quel meilleur moyen que d’utiliser un support ludique et sans risque pour le professionnel et bien sûr pour l’animal ?
L’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (AFVAC) a proposé, lors de son congrès de 2023 qui s’est tenu à Lille, en marge des conférences et de l’exposition commerciale, une animation nouvelle appelée "La clinique des erreurs". Sa conception et sa réalisation ont été le produit d’un partenariat avec l’association "La Prévention Médicale".
En médecine humaine, on parle plutôt de "chambre des erreurs". Ce concept, inspiré d’une expérience de l’Institut Canadien pour la Sécurité des Patients (ICSP), a été adapté par le centre mutualiste de rééducation et de réadaptation fonctionnelle de Kerpape en Bretagne dans le cadre de la semaine de la sécurité des patients en France en 2011. Il a été primé lors des Journées Internationales de la Qualité Hospitalière et en Santé en 2013 et a fait l’objet d’une publication dans le Webzine de la HAS en 2014.
Sur un espace isolé de 25 m², un local d’hospitalisation d’animaux de compagnie est reconstitué comportant notamment : table de consultation et de soins, paillasse et cages d’hospitalisation, mannequins humains et animaux, matériels, médicaments et autres produits…
Des erreurs, préalablement définies par un groupe de travail, avaient été introduites, en l’occurrence relatives à l’hygiène (produits d’hygiène, propreté des cages), à la gestion des soins et du risque infectieux, à celles des médicaments.
Avant l’entrée, un briefing réalisé par des étudiants préalablement formés, permet la contextualisation de l’expérience, afin de la rendre plus réaliste et donner les consignes de la visite et de l’observation.
Les vétérinaires, les auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) et les étudiants - qui s’étaient préalablement inscrits - étaient invités, par groupes de 8 à 10 au maximum, à traverser la "clinique", observer la scène pendant dix minutes et à noter les anomalies ou erreurs détectées.
Deux sessions par journée ont été organisées lors des pauses, soit 6 sessions.
La clinique des erreurs entre dans la catégorie des méthodes de simulation en santé structurée en 3 étapes :
Le passage dans la clinique était donc immédiatement suivi d’un débriefing interactif, animé par des vétérinaires de l’AFVAC.
Cette étape permet une approche réflexive, les observateurs étant engagés à exprimer leurs réactions lors de cette expérience, de justifier les erreurs trouvées réelles ou supposées et à échanger sur leurs pratiques au sein de leurs structures.
À l’issue de la session, l’objectif est de provoquer un questionnement sur ses pratiques non conformes et leur impact sur la sécurité des soins, de réaliser une prise de conscience sur la nécessité de faire progresser ses propres pratiques et celles de son équipe.
Le débriefing représentant l’étape la plus importante de la session, les animateurs avaient suivi avant le congrès une session de formation et la première journée a été accompagnée par un formateur aguerri en simulation humaine.
110 participants se sont présentés, répartis sur trois jours, ce qui a correspondu au nombre maximal de personnes qu’il avait été prévu d’accueillir pour cette première expérience vétérinaire, compte tenu des créneaux horaires disponibles.
Une large publicité avait été faite pour cet événement nouveau au congrès AFVAC, les congressistes se sont spontanément inscrits, la rumeur s’est rapidement répandue de l’existence de cette nouvelle animation originale et ludique et il a fallu refuser un assez grand nombre d’inscriptions, eu égard aux contraintes d’emploi du temps des uns et des autres.
Les questionnaires de recueil des erreurs et d’évaluation de l’atelier n’ont pas tous été parfaitement remplis mais il a été possible de comptabiliser notamment les réponses de 57 vétérinaires, 19 ASV, 23 étudiants.
Dix à douze erreurs, pour les plus patentes - ou même davantage, en fonction de la sévérité personnelle de chacun des participants -, ont été dans l’ensemble démasquées par tous les groupes, à défaut de toutes avoir été repérées par chacun des participants. Le tableau 1 en donne la liste par catégorie.
Une synthèse des résultats est présentée ci dessous :
Tableau 1 : Les anomalies relevées par les participants
Le "jeu" - car l’exercice se voulait ludique et a bien été perçu comme tel - a paru facile pour une majorité de participants. La figure ci-dessous donne une représentation de la difficulté perçue en fonction des catégories de participants.
La figure suivante confirme la perception ludique de cette activité. Il convient de souligner que, pour une première réalisation
sur le congrès de l’AFVAC, le choix des organisateurs avait été de sélectionner des erreurs "faciles", voire caricaturales, afin d’initier et de tester le système.
De durée double par rapport au temps de dépistage des erreurs, et immédiatement consécutive, la partie débriefing est fondamentale. Elle a du reste été perçue comme telle, comme le montre bien la figure ci-dessous.
La qualité et la motivation des vétérinaires ayant assuré la phase de debriefing ont été, sont et seront toujours les éléments fondamentaux de l’intérêt et de la réussite de l’exercice de formation ainsi proposé. Au cours de cette phase, interactive et cordiale, le plus souvent teintée d’humour, chacun a pu y aller de son étonnement mais aussi de ses suggestions. L’échange d’expériences affleure immédiatement et c’est aussi l’intérêt de cet exercice dénommé la clinique des erreurs.
Au-delà de l’organisation et de la très bonne perception de l’exercice, il est intéressant de se demander s’il est possible d’en déduire des tendances en matière de sensibilité au risque. Ont donc été comparés les pourcentages de bonnes réponses par catégorie professionnelle afin de montrer les lignes de forces de faiblesses ce que montrent la Figure à télécharger ci-dessous et surtout le tableau 2.
Tableau 2
Par exemple, les vétérinaires seraient plus sensibles à l’hygiène de l’environnement que les ASV : "café qui traîne", 71 % des vétérinaires ont retrouvé l’erreur contre 31 % des ASV. À l’inverse, il est relativement inquiétant que les vétérinaires (56 %) se préoccupent beaucoup moins que les ASV (78 %) qu’une seringue contenant un euthanasiant soit laissée sans étiquetage sur une paillasse ; en matière de travail en équipe et de rétrocontrôle cela pose question.
Tableau 3
Pourcentage de bonnes réponses par catégorie professionnelle :
La valeur des fourchettes de résultats reste cependant à discuter. Peut-on accepter par exemple qu’un docteur vétérinaire ne fasse attention à la gestion des produits euthanasiants que la moitié du temps et que les ASV ne s’intéressent au contrôle de l’isolement infectieux que dans à peine la moitié du temps ?
Cet exercice relativement simple et peu coûteux à mettre en œuvre - dans un climat de confraternité détendue sinon amicale et même amusée -, mis en pratique pour la première fois sur un congrès vétérinaire, se révèle utile, intéressant et prometteur.
Les nombreux verbatims relevés dans les questionnaires de satisfaction ont plébiscité ce type d’animations sur congrès. Ils appellent sans réserve à son renouvellement. Des propositions d’amélioration ont été suggérées, notamment quant à la disposition des installations. Mais beaucoup avait déjà été fait et mis en œuvre pour une réussite de ce coup d’essai : publicité efficace, organisation bien préparée et soignée, concours d’étudiants motivés ayant parfaitement rempli leur mission d’accueil et de soutien, vétérinaires motivés et efficaces en phase de débriefing…
La clinique vétérinaire des erreurs est une contribution possible et efficace à l’adoption par les professionnels de santé vétérinaire d’une culture de la sécurité des soins et de la gestion du risque, l’erreur devant être dissociée ici du concept culpabilisant de faute et de responsabilité.
L’erreur est humaine, il convient de l’analyser pour la prévenir, autant que faire se peut de la limiter et, le cas échéant, de savoir rebondir sur l’erreur commise afin d’empêcher sa répétition.
La presse vétérinaire s’est fait l’écho en termes positifs de cette initiative qui, à l’évidence, pourrait être renouvelée et même étendue à d’autres espèces domestiques (et autres organisations vétérinaires techniques), étendue à d’autres lieux (écoles vétérinaires), d’autres contextes managériaux (établissements de soins vétérinaires).
Dans l’immédiat, et même en considérant l’imperfection des conditions matérielles pour un coup d’essai et les biais d’échantillonnage possibles qui doivent inciter à la prudence pour conclure, l’AFVAC, organisatrice de l’événement, pourra s’interroger sur l’apparente faiblesse de la sensibilité des vétérinaires et des ASV à certains risques majeurs et en tirer les conséquences en matière de formations à promouvoir.